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Je ne compte plus le nombre de fois que j'ai vu cette question. Et les réponses sont toujours excellentes.
La plus évidente pour moi est: la philosophie. Avant la philosophie scolastique développée par les théologiens au moyen age, la philosophie servait à discuter de ce genre de questions.
Le philosophe Luc Ferry l'image très bien en utilisant comme métaphore, un jeu de société. Il part du mythe de l'odyssée d’Homère qu'il interprète comme ceci :
Les trois grands axes de la philosophie.
La philosophie va transformer ce message d'Homère – ce message de la mythologie grecque, ce message d'Ulysse – qui est à cet égard le premier grand sage grec. Elle va le transformer en le rationalisant dans trois grandes directions. Toute philosophie digne de ce nom couvrira ses trois grands axes – que je vais vous indiquer très rapidement en guise de dernier préalable avant de rentrer dans l'œuvre de Platon. C'est essentiel, car, une fois encore, toutes les grandes philosophies suivront, depuis Platon jusqu'à Heidegger, ces trois grandes sphères d'interrogation, ces trois grands domaines de questionnement – mais comme vous allez voir aussi, à l'encontre d'un poncif envahissant dans la pensée contemporaine, la philosophie ne se contente pas de poser des questions, de pratiquer, comme on dit, « l'étonnement » : elle apporte aussi, fort heureusement, de vraies réponses (ce que, du reste, nous avons déjà commencé à voir avec la sagesse d'Ulysse et sa belle définition de la vie bonne).
Le premier grand axe est celui de la connaissance, ce que les Grecs appellent la théôria, la contemplation du monde : à quoi sert la connaissance, si ce n'est à se faire une idée de ce qu'est, je dirais, le terrain de jeu de l'existence humaine ? Le terrain de jeu, parce que c'est bien dans ce monde que nous allons jouer nos existences. Il s'agit de savoir si ce monde est aimable ou pas, s'il est favorable ou pas, s'il est beau ou pas, s'il est connaissable ou pas… Il ne s'agit pas d'une interrogation scientifique – les sciences véritables sont toujours partielles, elles sont par exemple sciences de l'organisme (biologie), de la matière (physique), des planètes (astronomie), etc. Avec la théôria philosophique, il s'agit de se faire une vision globale du monde entendu comme le terrain de jeu de l'existence humaine. Bien sûr, pour y parvenir, il faut utiliser les sciences positives, mais le but n'est pas de connaître tel ou tel secteur de l'Univers, mais de se faire si possible une certaine idée de l'Univers tout entier.
Le deuxième axe de la philosophie vise à comprendre, non plus le terrain de jeu, mais les règles du jeu. Quelles sont les règles qui régissent le jeu que nous, les humains, jouons avec les autres. On touche là à la dimension morale, pratique ou éthique, voire juridique et politique, de la philosophie, celle qui concerne la justice, les règles de conduite des hommes les uns envers les autres.
Il y a enfin une troisième dimension, qui est plus élevée que les deux autres – mais elles sont toutes importantes –, c'est la dimension du sens. Quel est le but du jeu ? Non pas le terrain, non pas les règles mais : à quoi jouons-nous au fond ? Sommes-nous là en touristes, pour nous divertir un maximum, comme des enfants dans un parc d'attractions, ou avons-nous, en tant qu'humains, quelque chose à faire de spécifique sur cette terre ? On voit très bien à quoi joue Ulysse : à vrai dire il ne s'amuse pas vraiment. Le moins qu'on puisse dire est qu'il n'est guère dans le divertissement, même si son voyage est parfois passionnant. S'il joue à quelque chose, c'est à chercher la vie bonne. Il veut retrouver l'harmonie, il veut retrouver Ithaque. Le sens de sa vie est là. C'est le but du jeu d'Ulysse, si je puis dire : il est dans un terrain de jeu qui s'appelle le cosmos. Il veut certainement connaître le monde et ceux qui le peuplent, il est donc aussi dans la théorie – (c'est, par exemple, cette curiosité qui le pousse, pour son malheur, à aller à la rencontre des Cyclopes). Il possède aussi, très certainement, une morale – on y reviendra –, mais il est avant tout animé par l'idée du sens de sa vie, qui est de retrouver son coin de cosmos, de rejoindre Ithaque et les siens, Pénélope et Télémaque.
Cette troisième question est celle de la sagesse, de la vie bonne, l'équivalent de celle qui relève, dans les grandes religions, de la doctrine du salut. Le « salut », vous le savez – en français comme en grec ou en latin d'ailleurs –, renvoie à l'idée de « sauvetage ». Trouver son salut, c'est être sauvé. De quoi ? Des peurs qui nous coincent et nous empêchent de parvenir à la vie bonne, à la sérénité, à commencer par la peur fondamentale : celle de la mort. Comme je vous l'ai dit, le sage est d'abord celui qui a vaincu la peur et qui, en ce sens très philosophique, est « sauvé ». Le salut, il se trouve pour Ulysse à Ithaque : lorsque Ulysse est réconcilié avec Ithaque, il est en quelque sorte dans un instant d'éternité, il est enfin dans la sérénité, sinon dans le bonheur. D'une certaine manière, il est lui aussi sauvé.
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